mardi 5 novembre 2013

Contre qui faut-il être en colère ?

Voici un texte du militant solidaire Marc Bonhomme qui porte à réflexion :



Contre qui faut-il être en colère ?

Plusieurs destinataires de mes envois et visiteur-se-s de mon blogue ont été fort mécontent-e-s et même vexé-e-s de ma prise de position à propos de la « charte des valeurs » du PQ, plus précisément de l’énorme ballon d’essai car aucun projet de loi n’a encore été publié. Faisons le point.

1. Il est maintenant devenu clair que le fer de lance de cette charte vise le droit d’expression des femmes voilées, au-delà même du droit d’expression religieuse. Tout le reste est de la parade qui n’a rien à voir avec la laïcité et l’égalité femme-homme. Autrement, le PQ aurait, par exemple, aboli les écoles privées confessionnelles et supprimé la soustraction des pensions alimentaires aux prestations d’aide sociale et d’aide aux études pour les femmes seules.

2. Depuis la chute du mur de Berlin et surtout depuis l’attaque terroriste contre le World Trade Center puis la riposte guerrière étasunienne contre l’Afghanistan et l’Iraq, et j’en passe, il est devenu clair que l’islamophobie a remplacé dans le monde dit occidental tant l’antisémitisme d’avant la Deuxième guerre, sans que celui-ci n’ait disparu, que l’anticommunisme de la Guerre froide.

3. La charte des valeurs n’est rien d’autre qu’une cristallisation au grand jour de cette islamophobie latente dans la société québécoise comme ailleurs dans le monde occidental. La preuve en est la multiplication des incidents xénophobes envers les femmes voilées qui sont de plus en plus rapportés.

4. Pour celles d’entre elles qui sont pratiquantes, y inclus fondamentalistes, et pour leurs mentors qui font pression sur elles, le résultat est d’en faire des martyres. Pour d’autres femmes, de les inciter à porter le voile comme moyen de protestation ou d’affirmation de leur identité, peu importe la signification de soumission du voile.

5. Le fondamentalisme religieux est une force politique réelle, d’extrême-droite et parfois terroriste, dans beaucoup de pays arabo-musulmans — grâce notamment à l’impérialisme qui l’a longtemps soutenu avec succès contre les forces de gauche et contre celles du nationalisme progressiste — en Israël, en Inde et jusqu’à un certain point aux ÉU et au Canada à l’intérieur des partis Républicain et Conservateur. Mais il ne l’est pas au Québec et autant qu’il y ait un fondamentalisme à surveiller, ce serait en premier lieu le fondamentalisme catholique qui pointe le nez au Saguenay.

6. La seule façon démocratique de lutter contre le voile, clair signe d’oppression des femmes, est de lutter pour la justice sociale et pour la liberté, en particulier pour les femmes. En un mot, dans la mesure où cette lutte pour l’indépendance et contre l’austérité néolibérale décollera, tout ce fatras religieux ou culturel tombera comme un château de cartes tel que cela s’est produit dans le Québec des années 60 sans qu’il n’y ait aucune répression contre la pratique religieuse et les façons de s’habiller qui en découlait, le cas échéant.

7. L’islamophobie du PQ n’est pas bien sûr une exception à la règle dans le monde occidental. L’exemple de la France démontre où conduit ce genre de dérapage contre le voile qui, après la minorité arabo-musulmane s’étend aux Roms et aux (femmes) noires même ministre quand ce n’est pas contre les prostituées. Faut-il citer l’exemple canadien qui après les « certificats de sécurité », sert la vis à l’immigration et ferme le robinet monétaire pour répondre aux besoins fondamentaux des peuples autochtones et inuit. Cela n’empêche pas les Quebec bashers de nous faire la leçon… malheureusement avec raison.

8. Le PQ, dans le sillage de l’ADQ de Mario Dumont, a opté corps et âme pour le nationalisme identitaire car sans ce saut périlleux dans la réaction il est fini tant électoralement qu’historiquement. Son discours social-démocrate, fortement discrédité depuis la gouvernance Bouchard, est réduit à néant par l’exigence de forte austérité et de soutien étatique à l’entreprise qu’exige hic et nunc le patronat québécois.

9. Que des personnalités sympathiques, plusieurs à réputation progressiste, défendent la charte des valeurs démontre un grand désarroi tant face à l’attachement au PQ de sa jeunesse que face à un Québec de plus en plus pluraliste et bigarré, loin des « gens du pays » d’antan, dans un menaçant Canada assimilateur, extractiviste et se durcissant à droite.

10. Ou bien on succombe à un nouvel appel de la race comme du temps de la grande noirceur duplessiste, le tout… voilé… par les conquêtes de la révolution tranquille servant de paravent, comme nous y invite le PQ et les « Janette » ; ou bien le peuple québécois, toutes couleurs, nationalités et (non)-croyances confondues s’unit contre la finance, le patronat et leurs partis acquis à l’austérité néolibérale.

11. Le recul du PQ qui renonce à des élections hâtives sur la base de la charte des valeurs est déjà une petite victoire qui annonce des compromis, au moins avec la CAQ, lesquels cependant n’effaceront probablement pas son caractère islamophobe. À nous, Québécois et Québécoises, de souche ou pas, à prendre la rue pour l’achever avant la prochaine élection.

Détournons notre colère des femmes voilées, un petit groupe opprimé s’il en est un, et tournons-la contre ce capital financier qui asphyxie les peuples du monde. En ce qui concerne le peuple québécois, ce capital le fait principalement à partir de Toronto avec le soutien de ses sous-fifres québécois auquel le PQ sert de sous-tapis tout comme les Libéraux et la CAQ. Québec solidaire saura-t-il incarner cette colère dans les urnes et dans la rue ? That is the question.
Marc Bonhomme, 3 novembre 2013

www.marcbonhomme.com

Aucun commentaire: