lundi 12 septembre 2016

Que révèle la posture identitaire prise par la Coalition Avenir Québec ?


Bernard Rioux remet les pendules caquistes à l'heure 



Que révèle la posture identitaire prise par la Coalition Avenir Québec ? 



mercredi 7 septembre 2016, par Bernard Rioux

François Legault joue la carte du nationalisme identitaire. Il appelle à la mise en place d’un test pour juger de l’adhésion des   immigrant-e-s aux valeurs québécoises. Il demande au gouvernement libéral de réduire immédiatement de 20% le nombre de personnes immigrantes accepté au Québec chaque année, soit l’équivalent de 10 000 personnes de moins et cela au nom d’une meilleure intégration. Quel message livre-t-il à la population ? Quelle posture politique cherche-t-il à construire ? Pourquoi estime-t-il que ces prises de position peuvent aider la Coalition avenir Québec à améliorer sa place sur l’échiquier politique ? Pourquoi centrer l’attention du public sur ces enjeux.

Le test des valeurs repose sur un modèle essentialiste et culturaliste de la nation

Il y aurait des valeurs propres au peuple québécois ? Les personnes qui veulent immigrer au Québec devraient faire allégeance à ces valeurs. Ce test des valeurs devrait permettre d’identifier ceux et celles qui seraient aptes à s’intégrer à la nation et les personnes qui, compte tenu de leurs valeurs, ne le pourraient pas. Ces personnes pourraient éventuellement être définis comme porteuses de régressions pour la société québécoise et mettre en danger son avenir.

En fait, toute cette démarche repose sur une conception essentialiste et culturaliste de la nation qui fige la nature évolution de sa réalité. Les valeurs actuelles sur les rapports hommes-femmes reflètent-elles la réalité du Canada français du temps de la revanche des berceaux, celles qui prédominant au moment des larges familles, du retour à la terre ou de l’omniprésence de la religion dans toutes les sphères de la vie sociale ? En fait les caractéristiques de la nation québécoise sont en perpétuelle redéfinition. C’est le fait de vivre sur un même territoire, de partager des luttes communes pour donner à la société l’orientation qui définit les caractéristiques de l’identité nationale. Toute nouvelle question de société vient modifier cette identité. La question environnementale est un exemple de cela. Les populations immigrées qui se sont installées au Québec ont participé de cette redéfinition et cela continuera à ce faire malgré les politiques qui visent à présenter une partie des nouveaux arrivants ou des différentes communautés culturelles comme un danger pour la nation, comme un éventuel ennemi de l’intérieur, qu’il faudrait contrôle et surveiller. [1].

l’intégration ou l’immigration comme danger pour la nation québécoise

François Legault présente son option de réduire le taux d’immigration comme un choix rationnel pour ajuster les ressources aux problèmes liés à une intégration réussie. Il masque par là le caractère politique de sa proposition. En fait, il sait très bien que l’immigration est perçue par une partie des élites nationalistes comme un instrument de dénationalisation de Montréal, comme l’instrument de la régression démographique des Québécois-es francophones et comme le cheval de Troie servant à favoriser le recul de la langue française. C’est pourquoi sa proposition a eu un poids politique.

Prêter aux immigrantes la responsabilité du recul du français, c’est refuser de comprendre que ce recul repose sur le fait que les fédéralistes et les élites nationalistes se sont avérés incapables d’imposer une véritable défense du français dans les lieux de travail et qu’il est maintenant courant d’exiger le bilinguisme y compris dans des milieux francophones. L’anglais est maintenant plus facilitant que le français pour obtenir un emploi. C’est là une réalité avec à laquelle doivent s’adapter les nouvelles personnes arrivantes et on peut leur prêter la responsabilité pour le recul du français.

On ne peut pas leur prêter la responsabilité du poids des fédéralistes dans la société québécoise. C’est pourtant ce que nombre de souverainistes n’ont pas hésité à faire, à commencer par Jacques Parizeau, au soir du référendum de 95, qui prêta aux votes ethniques la responsabilité de la défaite. Il ne nous a pas expliqué pourquoi le Oui était minoritaire dans la région de Québec où ce facteur n’avait pu jouer. Pierre Karl-Péladeau reprenait un argument de la même eau en soulignant la nécessité de parvenir rapidement à l’indépendance compte tenu de l’évolution de la composition ethnique de la société québécoise en train de changer avec l’arrivée des immigré-e-s. Joseph Facal [2] reprenait sur un mode hystérique en affirmant, que toute hausse de l’immigration se faisait dans l’intérêt électoral du Parti libéral, et qu’elle contribuait à sceller l’avenir de la constitution du Québec...

Avec un tel discours, non seulement les communautés issues de l’immigration sont un danger pour les “les valeurs qui définissent (sic) la nation” mais elles sont et resteront invariablement un blocage à tout processus d’affirmation nationale. [3]

Pourquoi la CAQ joue-t-elle cette carte à ce moment-ci ?

François Legault sait bien que cette sortie va lui permettre de mettre en branle les médias et tourner les micros et caméras vers ce message. Il ne fait que surfer sur les craintes de l’étranger que les politiques sécuritaires instillent à flot continu. La droite nationaliste dans différents pays sait qu’il est possible d’instrumenter les difficultés économiques et la précarité qui en découlent pour construire un bouc émissaire défini comme responsable des problèmes engendrés par la crise capitaliste actuelle.

Mais cette carte identitaire a de plus l’avantage de balayer de la sciène les débats cruciaux sur les politiques d’austérité du gouvernement Couillard que la CAQ soutient dans l’ensemble. Elle sert à masquer l’appui du parti de François Legault aux politiques pro-pétrolières du gouvernement Couillard. Sans compter, l’utilisation démagogique et mensongère de l’égalité homme femme de ce parti qui n’a rien à cirer quand il s’agit de défendre concrètement les revendications des femmes et à élargir leur présence politique aux élections. N’est-ce pas ce parti qui a présenté le plus petit nombre de candidates aux dernières élections québécoises ?

Les politiques néolibérales sur l’immigration devraient être dans la cible des indépendantistes [4]

Les politiques du gouvernement Couillard sur l’immigration sont centrées sur la défense des intérêts des affairistes. Ce gouvernement est une véritable agence de placement entre les travailleurs et travailleuses d’ailleurs et les employeurs d’ici. Il ne vise qu’à organiser une sélection de plus en plus pointue des personnes immigrantes pour répondre à des offres d’emplois précis. En plus, les gouvernements québécois et canadien développent une immigration temporaire, qui n’a pas accès à la protection des normes du travail. Ces travailleurs-euses étrangers ont donc des conditions de travail ultra-précaires. Si on ajoute, une politique restrictive d’accueil des personnes réfugiées ( et la politique d’accueil des personnes réfugiées d’origine syrienne est demeurée particulièrement timide et peu ambitieuse), on peut affirmer que les politiciens fédéralistes néolibéraux se payent à peu de frais un soutien dans des secteurs des communautés issues de l’immigration qui ne peut s’expliquer que par la politique inepte conséquence d’un nationalisme étroit.

Pour un Québec pluraliste et égalitaire : seule voie pour bâtir une nouvelle majorité populaire pour la justice sociale et l’indépendance

Contrairement à l’approche nationaliste de Legault et cie, contrairement aux dérapages mal contrôlés la Charte des valeurs du Parti québécois ou de ceux qui que nous préparent Jean-François Lisée, les indépendantistes doivent rompre avec la logique identitariste imposée par la confusion politique et idéologique du Parti québécois.

Les indépendantistes québécois doivent en finir avec le nationalisme étroit. Cela ne sera possible qu’en s’engageant avec détermination aux cotés de ceux et celles qui, en franchissant les frontières, revendiquent de vraiment vivre, de fuir les situations de survie auxquelles ils sont acculés. Alors que les guerres se multiplient, que la pression impérialiste se fait sentir de plus en plus lourdement, il faut savoir accueillir les personnes réfugiées et refuser de limiter l’immigration à la seule utilité économique pour les entrepreneur-e-s.

Cela peut se concrétiser par une série de luttes à mener conjointement avec les nouveaux venus :
 lutte contre les discriminations économiques et reconnaissance des formations acquises.

 lutte de syndicalisation et d’accès aux droits syndicaux de ces travailleuses et travailleurs immigrés
 favoriser l’accès à la francisation, à des mises à niveau et à de nouvelles qualifications


Ce Québec pluriel passe également par une lutte systématique contre le racisme et l’islamophobie. Il faut en finir avec une laïcité identitaire et discriminatoire pour renouer avec le vrai sens de la laïcité visant la liberté de conscience et d’expression culturelle dans l’espace public.

Au-delà de ces luttes essentielles, il faut favoriser l’élargissement des droits politiques par la promotion d’une conception de la nation québécoise plurielle et civile qui élargit les droits politiques de ces communautés en leur donnant accès au droit de vote tant au niveau local qu’au niveau du Québec.

C’est en faisant du Québec une terre capable d’accueillir dignement les personnes réfugiée et migrantes et de mobiliser les moyens nécessaires pour leur offrir une véritable hospitalité, que les indépendantistes pourront définir un Québec pluriel, véritable front d’émancipation sociale et nationale de toutes les composantes de la société québécoise. C’est ainsi que l’on pourra unir ce qui doit être uni et enfin de se séparer des élites nationalistes qui sèment la division dans le camp populaire.

Notes

[1] Voir, Le Blogue de Saïd Bouamama, Manipulation de l’identité nationale

[2] Voir la chronique de Joseph Facal, Immigration : Le bal des hypocrites, Journal de Montréal, 7 septembre 2016

[3] Voir le Blogue de Mathieu Bock-Côté, Le parti immigraionniste, Journal de Montréal, 22août 2016

[4] André Fontecilla, Huffington post, 19 avril 2016


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