dimanche 18 mai 2014

Autocensure

Francis Lagacé nous parle du discours public.


Autocensure 

18 mai 2014

Mercredi soir dernier, 14 mai 2014, en regardant les nouvelles à TVA, nous avons eu une très belle illustration concrète de ce que signifie l'hégémonie culturelle. Les Canadiens de Montréal venaient de gagner la septième partie de hockey qui les opposait aux Bruins de Boston faisant d'eux l'équipe gagnante de la série demi-finale de leur division. Du Centre Bell, où avait eu lieu le match, la foule se déversait dans la ville et laissait éclater sa joie.

Une journaliste décrivait en direct la situation et parlait de la police qui ne réprimait pas la foule dans sa «man... présence dans la rue». La journaliste s'est reprise à temps pour ne pas employer le mot «manifestation» parce que depuis 2012, l'État policier nous a appris que «manifester, c'est violent et ce n'est pas bien».

Comprenons-nous bien. Je ne dis pas que la journaliste pense ça. Je ne dis pas que la journaliste en question croit ça fondamentalement. Que ce soit cette journaliste-là ou n'importe quelle autre personne n'a absolument aucune importance. Car l'idéologie n'est pas ce que l'on pense, mais bien ce qui nous pense.

Ainsi, la connotation sociale dominante des mots manifester et manifestation est devenue telle qu'une personne qui tient des propos publics s'autocensure pour ne pas employer le terme si elle ne veut pas donner une image négative d'un événement.

Si on est attentif, on notera que tout le discours public est coloré par de pareilles réticences, présuppositions, préconceptions et autres interprétations, qui ne relèvent absolument pas de la mauvaise volonté, ni de la méchanceté ni de la mauvaise disposition de qui que ce soit. Et il en est de même du discours privé de la plupart des citoyenNEs, qui baignent dans un contexte où la pensée austéritaire va de soi, comme la bonté des saints allait de soi dans le Québec rural des années 30.

L'hégémonie culturelle est un phénomène qui transcende les décisions conscientes; elle est la superstructure idéologique qui oriente une conception de la réalité. Ce genre de phénomène ne se corrige pas en deux coups de cuiller à pot.

Nous avons devant nous un très long travail de réappropriation des concepts, du discours, mais aussi de la pratique même du politique dans nos relations quotidiennes, que ce soit au travail, avec nos voisins, dans nos échanges économiques, dans toutes les organisations auxquelles nous participons aux niveaux local, municipal, régional, national, international.

LAGACÉ, Francis




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