dimanche 25 mai 2014

Vieillir (suite)

Francis Lagacé nous parle de vieillissement :


Vieillir (suite) 

25 mai 2014

J'allais voir le film Le règne de la beauté de Denys Arcand, qui n'est pas le film raté que certains ont dit ou écrit. C'est un beau film, pas un grand film, mais un beau film.

Toutefois, je ne m'attendais pas du tout au court métrage qui le précédait. Du silence, quelques chuchotements à peine, une musique discrète, le son d'un cœur qui bat, des gros plans s'attardant longuement sur la peau vieillie de deux acteurs québécois bien connus, par ma génération en tout cas.

On reste interdit devant ces images auxquelles notre univers photoshopé ne nous a jamais préparé. Le silence des salles de cinéma est habituellement plein et habité. On le sent. Ici, c'est un silence déserté qui se fait parmi les spectatrices et spectateurs muets, renvoyés à leur propre finitude, comme se découvrant brusquement dans le miroir parce que 20 ans se sont écoulés depuis la dernière fois qu'on s'est regardé vraiment.

Je l'avoue, j'ai eu un malaise en voyant des plans rapprochés d'une gorge avec sa peau molle, ses sommets et ses fosses, plans insistants, plans lents. Ce film de quelques minutes (8,39 pour être précis) peut nous paraître long, mais quel cadeau magnifique nous font Gilles Pelletier et Françoise Graton, car c'est de ce couple qu'il s'agit, en se prêtant ainsi au scénario de Patrick Bossé le réalisateur du film Anatomie.

Un baiser sur le front, quelques pas de danse, une main qui caresse la peau plissante d'un bras, les veines bleues qui percent la peau devenue transparente, les taches et les boutons qui parsèment le corps vieillissant, une tête posée sur un torse dans le bruit amoureux d'un cœur toujours vivant. Ce film, qui m'a surpris dans mes propres frayeurs, m'a séduit, m'a comblé d'une richesse et d'une chaleur, a suscité l'envie irrépressible de partager.

L'amour des corps vieillissants, entre les corps vieillissants est un tabou ultime dans notre société de la perfection éphémère. Et je ne peux que penser au poèmeLes petites vieilles, œuvre qui m'avait tant impressionné, adolescent : «Je guette, obéissant à mes humeurs fatales/ Des êtres singuliers, décrépits et charmants». L'audacieux Baudelaire n'aurait pas ici boudé son plaisir même si la description cinématographique évite soigneusement le scabreux que notre poète maudit affectionnait.

Puis me revient la belle chanson de Moustaki sous la voix de Reggiani : «La femme qui est dans mon lit/ N'a plus 20 ans depuis longtemps/ Ne riez pas/ N'y touchez pas/ Gardez vos larmes/ Et vos sarcasmes/ Lorsque la nuit /Nous réunit /Son corps, ses mains/ S'offrent aux miens/ Et c'est son cœur/ Couvert de pleurs/ Et de blessures/ Qui me rassure».

Pour toutes ces belles évocations, pour la simplicité de cet hymne généreux à l'amour qui n'a pas d'âge, aux corps qui ont su durer, un grand merci à Patrick Bossé, Gilles Pelletier et Françoise Graton. J'inscris ici le lien vers le site du film Anatomie http://www.patrickbosse.com/FILM-Anatomie-2013.

Je vous souhaite la grâce de voir ce court métrage d'une sereine humanité, d'accepter d'être dérangé le cas échéant, puis de vous laisser gagner par cette tendresse si rassurante.

LAGACÉ, Francis




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