vendredi 6 novembre 2015

Refuser l’hégémonie péquiste ou pourquoi en finir avec la théorie du navire amiral ?


Laissons Bernard Rioux remettre les pendules péquistes à l'heure !



Refuser l’hégémonie péquiste ou pourquoi en finir avec la théorie du navire amiral ? 


mardi 3 novembre 2015, par Bernard Rioux

20 après le référendum perdu de 1995, des intellectuels nationalistes québécois s’épanchent sur l’échec de la lutte pour la souveraineté. La souveraineté serait dans l’impasse. La situation serait bloquée. Le peuple québécois aurait démissionné collectivement. Il serait tombé dans une servitude assumée. Le peuple québécois serait même tenté par le suicide politique [1]. Rien de moins.

Le sens de la fatigue politique des intellectuels péquistes

Pour Jacques Beauchemin, [2] : « Ce qui se joue dans notre conscience historique, c’est cette lutte entre le désir de durer et la tentation de la mort, entre notre volonté de s’arracher aux forces de l’endormissement et, au contraire, l’envie de céder à la fatigue. Notre collectivité ne sait pas, en conséquence, si elle veut vivre ou mourir. » Qu’est-ce qui est au fondement de cette démission se demande Jacques Beauchemin ? Et il répond : « La patience d’un peuple qui estime qu’il vaut mieux se tasser sur lui-même en attendant les circonstances favorables à l’émancipation. » Tout cela annoncerait, nous prévient-il, de « funestes démissions » la liquidation de la question elle-même. « Le sort du projet souverainiste se joue dans les profondeurs de la psyché québécoise bien davantage que sur la scène politique. Ce n’est pas dans le registre de la stratégie politique que se jouera le sort de leur projet, pas plus que dans une pédagogie active qui le ferait mieux comprendre, mais en ce lieu obscur dans lequel se trament nos projets ou s’éteignent nos élans. [3]

Comment relancer l’espoir, s’interroge-t-il ? En assumant sans détour la légitimité d’une majorité franco-québécoise issue de l’histoire singulière du Québec à former le coeur de la nation. Du déjà vu et du déjà entendu. Pour Beauchemin, les QuébecoisEs doivent consentir à eux-mêmes et se tourner vers leur histoire. La souveraineté, c’est d’abord l’expression d’un désir de continuité et d’achèvement principalement portée par la majorité francophone. Et Jacques Beauchemin d’affirmer au journaliste du Devoir : Pierre Karl Péladeau est « l’homme de la dernière chance… » « Si on est incapable de faire la souveraineté avec le PQ dirigé par PKP, je ne vois pas comment on pourra la faire », ». [4]. Que de creuses réflexions pour des conclusions si prosaïques !

Beauchemin, après ses atermoiements métaphysiques sur la réalité de la nation, n’a qu’une chose à proposer, se ranger derrière le Parti québécois.

Ces sentiments troubles dans l’intelligentsia péquiste reflètent une crise du bloc social sous hégémonie péquiste. Il démontre aussi l’urgence de la construction d’un nouveau bloc social dirigé par les mouvements sociaux des classes subalternes autour d’un projet d’un Québec égalitaire et inclusif. Tant que le mouvement pour l’indépendance restera sous la direction des élites bourgeoises et petites-bourgeoises, il restera impuissant, car cette direction refuse un affrontement réel avec la bourgeoisie canadienne et ses institutions.

Nature du souverainisme de droite ou du bloc social sous hégémonie péquiste

Prétendre dépasser le clivage gauche-droite, c’est prétendre abolir les clivages de classes. Et ce clivage n’est pas une réalité qui serait parallèle à la question nationale. Ce clivage lui est transversal et, cela, particulièrement à l’heure du développement des inégalités et de la concentration des richesses. Contrairement à ce qu’a défendu Bernard Landry, il existe un souverainisme de droite. On peut le reconnaître assez facilement. Poser la question nationale en termes d’identité nationale, c’est répondre à la question de la nation du point de vue des dominants qui ont intérêt à introduire des débats qui divisent sur une base culturelle, ethnique, raciale ou religieuse la majorité populaire et c’est chercher à unir cette majorité sous la direction des élites nationalistes.

C’est à cette fin que le souverainisme de droite s’appuie sur une conception essentialiste de la nation la posant comme entité homogène héritière d’ancêtres dont il faudrait continuer les apports. La nation est donc définie par son héritage, par son passé, par son histoire.

Dans une société, comme la société québécoise marquée par une diversité culturelle de plus en plus profonde, la nation apparaît comme en danger, en panne d’intégration. Dans cette conception, notre identité nationale serait menacée par des minorités ethniques de plus en plus importantes dont les valeurs seraient parfois porteuses de régressions culturelles et sociales. L’ethnicisation des questions sociales est donc à la fois un résultat et un moyen de gestion des rapports de forces sociaux à l’époque du néolibéralisme. Dans ce type de situation, la volonté d’assimilation (ou de rejet) des communautés définies comme étrangères tend à se manifester de plus en plus ouvertement. Le projet souverainiste de droite qui s’articule à ce type de conception de la nation tend à définir la diversité culturelle grandissante comme un obstacle essentiel à la souveraineté de la nation.

Le souverainisme de droite assume une association avec l’État canadien. Il assume que l’armée canadienne pourrait être l’armée d’un Québec « indépendant » Il assume que la Banque du Canada pourrait être la Banque centrale d’un Québec « indépendant ». Il assume que les accords de libre-échange qui ouvrent le Québec à la prédation des multinationales sur nos services publics pourraient donner un environnement économique stimulant d’un « Québec indépendant ». Il assume que dans un « Québec indépendant » on pourrait accepter le passage de pipelines transportant le pétrole tiré des sables bitumineux sur le territoire québécois. Il assume que l’exploitation des richesses naturelles du Québec pourrait être le fait de compagnies multinationales étrangères… Il assume que le déficit zéro et les politiques d’austérité pourraient être les politiques d’un « Québec indépendant ». Il assume que des minorités nationales ou des communautés culturelles pourraient être frappées par des politiques discriminatoires de la part du gouvernement d’un « Québec indépendant ». Que ce soit par l’accord PQ-Bloc Québecois-ADQ de juin 1995 ou par les politiques concrètes du gouvernement Marois, ces différentes dimensions du souverainisme de droite ont été assumées.

Ce souverainisme de droite donne un contenu à « l’indépendance » qui va à l’encontre d’un projet d’émancipation sociale. Ce souverainisme de droite rejette le fait que l’indépendance soit un projet de transformation progressiste de la société. Aujourd’hui, c’est ce souverainisme de droite qui voit son hégémonie remise en question, particulièrement chez les jeunes et chez les femmes.

On sait que le souverainisme de droite cherche, souvent à se cacher derrière la prétention qu’il existe une indépendance sans qualité… tout en défendant que le Parti québécois qui dirige actuellement le mouvement souverainiste doit rester le navire amiral de ce mouvement alors qu’il a repris à son compte le tournant néolibéral. Le souverainisme de droite s’avance donc masqué… Mathieu Boch-Côté décrit bien cette double posture : « Sachant que le centre de gravité de la vie politique se déplace du centre gauche au centre droit, le souverainisme devra s’y adapter, sans renoncer pour autant à incarner l’esprit de coalition, et sans consentir lui-même au déclassement de la question nationale par la question sociale, ce qui reviendrait à endosser le cadre canadien comme cadre politique où projeter la société québécoise. Mais une chose est certaine : la rénovation attendue du projet du Parti québécois ne saurait faire l’économie d’une redéfinition en profondeur de sa vision sociale et économique. » [5] On se doute un peu ce que notre auteur attend à cet égard.

Un souverainisme de gauche, bloc contre-hégémonique en cours de construction

Le souverainisme de gauche défini la nation comme une communauté souveraine, comme une collectivité régie, par une position commune, consciente d’elle-même et désireuse de construire une société qui fait de la souveraineté populaire le centre de son existence politique. C’est une nation politique. Dans ces conditions, la souveraineté de gauche se définit par des objectifs politiques partagés, par l’affirmation d’un projet de société à laquelle on aspire en commun, un projet qui se définit par une démarche de souveraineté populaire. Le souverainisme de gauche appréhende la nation comme le résultat social de la vie sur un même territoire avec les lois qui le régissent, les contenus d’enseignements qui y sont dispensés, les droits qui le caractérisent, mais également les conflits sociaux qui le structurent et les classes sociales qui s’y affrontent… [6]

C’est plus dans le présent et dans nos aspirations pour l’avenir qu’il faut rechercher les axes de l’identité que nous avons à construire ensemble… Il ne s’agit pas de nier l’histoire. Elle se revisite à la lumière des débats et des combats qui la traversent pour porter ses éléments émancipateurs dans le coeur du présent. Pour ces raisons, une condition incontournable pour construire une nouvelle identité nationale est la reconnaissance des différentes cultures présentes en sol québécois et de leurs apports diversifiés à une nouvelle culture émancipatrice. Dans ce contexte, la rupture et la critique du rapport colonial que nous avons établi avec les Premières nations est particulièrement essentielle.

Le souverainisme de gauche se définit d’abord par l’exercice de la souveraineté populaire dans la définition du projet de société et des institutions qui sont appelées à structurer la nation. C’est la majorité populaire, par la voie d’une constituante, qui doit définir les nouvelles institutions de la nation..

Le souverainisme de gauche est d’emblée anti-impérialiste. Il cherche la fin de la domination des institutions de l’État canadien sur le territoire québécois (que ce soit sa banque centrale, sa monnaie, son armée, ses traités) . Il rejette également l’asservissement de l’exploitation du territoire par les multinationales et les banques étrangères

Le souverainisme de gauche refuse la domination sur la vie économique, sociale et culturelle du capital étranger. Il cherche à fonder des institutions économiques qui permettront au peuple québécois de décider de ses propres orientations économiques et environnementales de façon démocratique en toute indépendance.

Le souverainisme de gauche fait de la lutte pour l’égalité et la justice sociale, le centre de son combat, car cette lutte est essentielle à l’insertion de tous et toutes dans la société québécoise sur une base égalitaire. C’est là la condition d’une formation d’une nouvelle unité nationale.

Une lutte contre-hégémonique qui ne fait pas abstraction de la réalité de classe de la majorité populaire

Le Parti québécois défend, et de façon de plus en plus conséquente, un souverainisme de droite. La lutte pour l’indépendance nationale qui s’inspire d’un souverainisme de gauche nécessite d’en finir avec cette hégémonie. Cela signifie une critique claire et conséquente du caractère tronquée de l’indépendance qu’on nous propose qui met de côté des composantes entières de la société québécoise et d’où est évacuée toute dimension anti-impérialiste nécessaire à notre époque à une indépendance véritable.

Les élites nationalistes se sont avérées jusqu’ici incapables de mener la lutte pour l’indépendance jusqu’au bout. Elles ont même eu tendance à chaque moment crucial de notre histoire à transformer l’aspiration à l’indépendance en objectif d’États associés. Référendum sur la nouvelle alliance en 1980. Référendum sur la souveraineté partenariat en 1995. À chaque fois, la recherche d’un compromis avec l’État canadien a remplacé la nécessaire rupture menant à une libération nationale véritable.

L’affirmation d’une autonomie politique face au bloc péquiste est le chemin nécessaire de la constitution d’un nouveau bloc social formée de la majorité des classes exploitées et opprimées défenseur d’un souverainisme de gauche, capable en d’autres termes de lier indépendance, projet de société égalitaire et souveraineté populaire.

Notes

[1] Roger Payette et Jean-François Payette, Une fabrique de servitude,- La condition culturelle des Québécois, Fides, 2015. Ces auteurs continuent leur derby de démolition, amorcé dans Ce peuple qui ne fut jamais souverain -voir notre critique - www.pressegauche.org/spip.php?article16246-, de leur livre, Une fabrique de servitude. Ils essaient cette fois d’analyser différentes productions culturelles, pour démontrer l’incapacité du peuple québécois d’avoir une quelconque emprise sur le réel. Ils prétendent y découvrir l’essence de la nation québécoise : une société qui se refuse à devenir politique, un peuple qui tourne en rond et qui se réfugie dans l’aveuglement des causes de sa condition. C’est pourquoi il a choisi lors des référendums la subordination politique marquée par la détestation de soi. Bref, c’est un peuple qui s’enlise dans les lamentations et qui consent collectivement à son manque d’emprise sur le réel. Et ce serait au peuple québécois lui-même à qui il faudrait imputer cette impasse.

[2] Jacques Beauchemin, La souveraineté en héritage, Boréal, 2015, p. 156

[3] Jacques Beauchemin, La souveraineté en héritage, Boréal,2015, p. 150

[4] Marc Fortier, Le Devoir, 8 juin 2015

[5] Mathieu Bock-Côté, Nouvelle sociologie de la question nationale, Indépendance, les conditions du renouveau, vlb éditeur, 2015, pp.52-53

[6] Voir Saïd Bouamaman, La manipulation de l’identité nationale, Éditions du Cygne



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