dimanche 17 avril 2016

Humour et censure


Parlons humour avec Francis Lagacé


Humour et censure 

17 avril 2016

On n’aimerait pas être la ou le juge qui devra trancher dans la poursuite opposant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au nom de Jérémy Gabriel à Mike Ward dans l’affaire qui sera connue désormais comme celle du « petit Jérémy » contre Ward.

Pour mémoire, on rappellera que Jérémy Gabriel était un jeune enfant handicapé qui a chanté devant le pape en 2006. Beaucoup ont cru à l’époque que l’enfant, aujourd’hui âgé de dix-neuf ans, ne devait pas vivre très vieux. Il a ensuite fait des tournées pour des œuvres caritatives. Mike Ward est un humoristetrash connu pour sa propension à pousser les limites de la vulgarité. Il lui est reproché d’avoir dit dans des spectacles en 2010 que le « petit Jérémy » devrait être mort.

Plusieurs règles se croisent dans ce contexte. Il y a la liberté d’expression qui, bien sûr, permet de dire tout ce qu’on veut, surtout dans un spectacle d’humour. Cette liberté est cependant restreinte par tout ce qui pourrait inciter explicitement à la haine, au racisme, à l’homophobie, etc.

Pour illustrer notre réflexion, on fera appel à des exemples pris chez Yvon Deschamps puisqu’il est une institution dans le domaine humoristique et sert de référence depuis la fin des années soixante.

Prenons les incitations à la haine. Elles peuvent être en fait des dénonciations de l’incitation à la haine. On a le cas célèbre, mal compris aujourd’hui, de son personnage qui criait Nigger black. On se rappelle que le but du sketche était de ridiculiser celui qui lance cette insulte et non de ridiculiser les Noirs. Il ne manqua pas, pourtant, d’individus mal avisés pour l’interpréter au premier degré. Dans le cas Ward, le deuxième degré est moins facile à voir dans la mesure où le personnage incarné sur scène par l’humoriste est moins clairement dissocié de l’homme.

Il y a aussi le fait que, lorsqu’on devient une personnalité publique, on s’expose à la satire, ce qui est expressément prévu par la loi. Encore une fois, on pourra citer Yvon Deschamps, en contre-exemple ici, qui a longtemps fait de l’humour de mauvais goût sur le poids et la taille de Lise Payette, mais cela était couvert par le fait qu’elle était une personnalité connue.

On peut par ailleurs se demander pourquoi faire de l’humour pour ridiculiser les plus faibles de la société quand on n’a pas pour intention de dénoncer le traitement qu’on leur fait. La « petite mongole » du monologue d’Yvon Deschamps était un personnage générique et non une handicapée en particulier. La distance entre l’auteur et son personnage amenait le spectateur intelligent à porter un regard critique sur le traitement réservé aux personnes handicapées.

Il est plus difficile de voir cette distance chez l’humoriste Ward où les mécanismes de création des stéréotypes ne sont pas démontés, seuls leurs résultats étant exposés. La variété de la position sociale des cibles d’un humoriste aide aussi à comprendre l’intention de son humour.

Peut-on rire de tout ? demandait Roger Desproges. Oui, mais pas avec n’importe qui. Si je ris des handicapés avec des gens qui méprisent les handicapés, est-ce que je n’incite pas à la haine ?

Mais, bien sûr, on se rappelle qu’il vaut mieux la liberté d’expression que la censure, sinon on est à la merci du bon vouloir du prince.

LAGACÉ, Francis

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Merci pour cet avis bien justifié.
Note : Pierre Desproges