vendredi 29 avril 2016

Unité ouvrière et populaire : pour en finir avec la domination des élites nationalistes


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DÉBAT SUR LA QUESTION NATIONALE

Retour sur une réflexion de Jonathan Durant Folco

Unité ouvrière et populaire : pour en finir avec la domination des élites nationalistes 



mardi 26 avril 2016, par Bernard Rioux

Dans son texte Convergences inédites et mutation du paysage politique québécois, Jonathan Durand Folco s’interroge sur la dynamique de la scène politique québécoise et envisage une orientation possible pour Québec solidaire dans ce contexte. En fait, le scénario d’une « alliance indépendantiste et progressiste »(PQ-QS-ON) , lui semble la meilleure stratégie pour « fissurer le bloc libéral », « pour vaincre les libéraux en 2018 », « pour définir la gauche comme un catalyseur de la renaissance du mouvement indépendantiste » et pour « permettre à QS de montrer son influence morale et politique ». Nous croyons que le camarade Folco fait fausse route et que sa realpolitik servira un tout autre acteur, le PQ, et l’aidera à verrouiller son hégémonie sur le mouvement indépendantiste qu’il maintient depuis des décennies dans l’impuissance politique.

D’un usage unilatéral du concept de bloc historique

L’auteur utilise le concept de bloc historique de Gramsci pour écarter une approche en termes de classes sociales. Il réduit le marxisme à sa caricature dogmatique pour mieux écarter ce type d’analyse. Il se refuse à analyser les partis politiques à partir de la nature de leurs rapports aux classes fondamentales, de l’origine de leur direction, de l’analyse des propositions de leur programme, de l’évaluation de leur base militante, du caractère de son régime interne et de la réalité de leur base électorale. Il utilise la notion de bloc historique qu’il identifie un peu rapidement à des alliances de classe. En fait, il oppose ainsi le bloc libéral et le bloc nationaliste.

Des scénarios possibles ou probables et leur contraire.

Sa description des scénarios qui pourraient marquer l’évolution de la scène politique est intéressante. Le maintien au premier rang du PLQ dans les intentions de vote est attribué à l’absence d’alternative politique crédible. Le bloc historique libéral est défini comme le défenseur du statu quo et des minorités culturelles. En fait, il serait important de préciser que ce bloc historique est l’instrument de la bourgeoisie canadienne et de son État, de la vaste majorité de la bourgeoisie québécoise et des couches petites-bourgeoises qui lui sont liées ainsi que des secteurs les moins intégrés les moins organisées des classes subalternes : communautés ethnoculturelles, ainé-e-s hors travail... Sa force n’est pas seulement le fruit du poids des non-francophones dans la société québécoise, mais de la puissance sociale des classes qui dominent ce bloc. Ce bloc mène une offensive contre toutes les manifestations de l’affirmation nationale du peuple québécois et pour un accaparement de plus en plus odieux de la richesse collective. Ce qui le conduit à attaquer les services publics et à les privatiser, à s’attaquer aux droits syndicaux afin d’affaiblir des mouvements de résistance à cette offensive. Sa faiblesse fondamentale est la perte de sa légitimité d’une politique qui ne vise pas à satisfaire les besoins sociaux par le partage du bien commun. Son affaiblissement est directement la conséquence de la réalité et de la force de la résistance populaire.

Pour notre part, nous croyons nécessaire de préciser que le bloc historique nationaliste est dirigé par une petite minorité nationaliste de la bourgeoisie québécoise, par la classe des cadres, particulièrement du secteur public, par les secteurs de la petite-bourgeoisie liée aux services publics et aux industries culturelles et par les secteurs les plus organisés des classes ouvrières et populaires.

La direction de ce bloc est aux mains d’un parti politique, le Parti québécois. Toute l’histoire de ce parti est l’histoire du refus de mener le combat indépendantiste jusqu’au bout. Il est surtout le refus d’identifier le combat indépendantiste comme une politique d’émancipation sociale pour la majorité populaire. L’indépendance n’est dans le discours des dirigeantEs de ce bloc nationaliste ni de gauche ni de droite. En fait, dans l’opposition, les revendications sociales sont mises de l’avant à l’approche des élections. Au pouvoir, ce parti a toujours fait la preuve, depuis le début des années 80, qu’il s’identifie sur le plan social à l’essentiel des politiques mises de l’avant par les secteurs dominants de la bourgeoisie. Le Parti québécois est incapable de se résoudre ou même d’envisager une politique de confrontation à la puissance de la classe dominante. Cela le conduit sur le terrain national, à tergiverser, à remettre à plus tard, les combats nécessaires, à parler de souveraineté-association, de souveraineté partenariat, de gouvernance souverainiste... et à éviter une politique de rupture. Cette politique de rupture nécessiterait de s’appuyer sur la mobilisation active de la majorité populaire sur des enjeux concrets s’opposant aux politiques de l’État canadien, mais il craint d’éventuels débordements...

L’affaiblissement de l’hégémonie péquiste est la leçon tirée par des secteurs de la majorité populaire, que chaque fois que le PQ a été au pouvoir, il a mené des politiques allant dans le sens des intérêts économiques et politiques de la classe des affairistes. Le PQ défend encore la politique du déficit zéro du gouvernement Bouchard qui a participé à l’affaiblissement des services publics. Le PQ défend encore le libre-échange qui diminue notre capacité de décider de nos orientations économiques et nous soumet au chantage des multinationales. Le gouvernement Marois s’était, lui, rangé derrière les projets de la bourgeoisie canadienne de désenclavement du pétrole des sables bitumineux et de l’exploitation pétrolière au Québec y allant de subventions à l’exploitation du pétrole sur Anticosti.

C’est bien ce qui explique l’éparpillement du bloc nationaliste en plusieurs fractions… et l’apparition de partis politiques indépendantistes en dehors du PQ. Il ne s’agit pas de le déplorer et de proposer de recoller les morceaux du bloc nationaliste dans une coalition plus progressiste. Il s’agit d’en finir avec l’hégémonie de ce parti sur le mouvement indépendantiste qui a mené à l’accumulation de défaites.

Ravauder le bloc nationaliste pour permettre au PQ de remplir son "rôle historique"

Le Parti québécois dans l’opposition est en train de faire ses choix. La lettre de Pierre-Karl Péladeau et de Véronique Hivon, PQ et convergence souverainiste, 23 avril 2016, montre qu’il va, encore une fois, prendre une posture « progressiste » (keynésianisme de campagne) et s’intéresser aux conditions d’accès à l’indépendance (phraséologie indépendantiste) avant les élections et alors qu’il est dans l’opposition. Mais, cette lettre est d’un vide sidéral... Elle ne propose rien. Pas de politique contre l’offensive actuelle de l’oligarchie, stratégie d’accès à l’indépendance promise pour le congrès de 2018. Mais, après avoir tendu la main, le PQ ouvre les bras à Québec solidaire. Le PQ appelle QS solidaire à devenir un groupe de propositions non à la majorité populaire de la société québécoise, mais au Parti québécois lui-même, en direction de son congrès.

Et notre camarade Durand Folco répond à cette invitation en posant six conditions à une alliance sociale indépendantiste : 1. tenue d’une assemblée constituante dans un premier mandat ; 2. mesures anti-austérité ; 3. engagements contre les projets d’oléoducs et contre l’exploitation des hydrocarbures au Québec, 4. réforme du mode de scrutin 5. engagement fort contre les paradis fiscaux et 6. vision pluraliste de la société québécoise.

En somme, ce texte définit des conditions de l’intégration de Québec solidaire dans le bloc nationaliste sans remise en question de la direction du PQ sur le bloc nationaliste. Ce texte propose de faire des propositions au PQ afin de réorienter ses politiques dans l’espoir de tirer le Parti québécois à gauche, de lui faire adopter une stratégie de la souveraineté populaire. Ce texte propose la redéfinition de Québec solidaire, d’alternative stratégique au projet péquiste à un groupe de pression satellisé par le bloc nationaliste.

Ce texte affirme que devenir un groupe de propositions en direction du prochain congrès du PQ, c’est être offensif... Il confond malheureusement l’offensive avec la satellisation... Soit ces propositions sont une manoeuvre médiatique, car on sait qu’elles seront rejetées. Et cette manoeuvre apparaîtrait bien vaine. Soit on croit qu’elles pourront être reprises pour réorienter le bloc nationaliste, alors on gomme les intérêts de classe en jeu qui sont au fondement des choix faits par les différents acteurs politiques.

Malheureusement, l’imagination politique du camarade Durand Folco ne semble pas avoir de limite. Son texte fait valoir la pertinence de s’engager dans un programme anti-austérité pour relancer l’économie sur une base solidaire, égalitaire, démocratique, écologique et performante. Cela est important, mais croire que dans le contexte actuel ou prévisible pour 2018 qu’un bloc nationaliste encore dirigé par le PQ pourrait adopter une telle politique est un pur mirage. De même, l’hypothèse que soulève le texte sur le fait que le PQ pourrait convoquer une assemblée constituante dans un premier mandat permettant ainsi de montrer l’influence de QS et son influence morale et politique, fait tout simplement un trait sur l’histoire récente du PQ et sur ses déclarations sur le fait que la constituante ne pourrait être convoquée qu’une fois l’indépendance réalisée. Qs est ainsi redéfini comme groupe de pression sur le PQ. Le SPQ libre pourrait argumenter que ce travail de pression serait facilité par l’intégration dans le PQ lui-même.

Le camarade Durand Folco n’en finit plus de nous étonner. Il écrit : "De plus, un grand argument en faveur d’une telle coalition indépendantiste pourrait être le besoin d’en finir avec la question nationale qui taraude le Québec depuis 40 ans et l’empêche de progresser sur le plan social et économique" . La coalition électorale indépendantiste permettrait de résoudre la question nationale. On est ici véritablement dans la fable où le PQ disposant de QS comme la mouche du coche pourrait faire avancer l’attelage indépendantiste jusqu’à la réalisation de l’indépendance.

Le camarade Durand Folco, nous invite à un dernier effort. « Si la gauche veut se débarrasser du Parti québécois, pourquoi ne l’invite-t-elle pas à se présenter une dernière fois aux élections ? En accomplissant son rôle historique après une troisième tentative, ce grand parti souverainiste n’aurait de raisons d’exister, sauf à vouloir rejouer le jeu du nationalisme conservateur sous une nouvelle forme. »   On rêve. Il n’y a plus ici ni analyse critique, ni realpolitik...

Pourquoi ne pas imaginer une alliance avec la CAQ... et imaginer ses conséquences pour QS ? Pourquoi pas en effet ? Mais est-ce bien utile si tout et son contraire est possible ?

 Construire un nouveau bloc historique autour des classes ouvrières et populaires et des mouvements antisystémiques

« Les classes sociales dominées, écrit notre auteur, sont généralement soudées idéologiquement à certaines élites par le partage de valeurs, d’idées et de références culturelles communes. Ces coalitions morales et intellectuelles forment des blocs historiques, lesquels représentent les principales bases sociales et électorales des partis politiques ». Voilà qui décrit en creux le défi devant nous : en finir avec cette domination des élites nationalistes et développer une politique autonome de la majorité ouvrière, populaire, féministe et jeune.

Le défi, c’est la construction d’un nouveau bloc historique organisant les classes dominées pour la conquête du pouvoir. Le défi pour un parti de gauche, c’est de participer au renforcement et à l’apparition de nouvelles pratiques de luttes, de nouvelles formes d’organisations démocratiques de ces luttes, au-delà de la traditionnelle politique parlementaire. Le défi de la construction d’un nouveau bloc historique, c’est de commencer à construire dès maintenant les conditions de la victoire des combats qui sont devant les classes ouvrières et populaires contre l’offensive actuelle du 1% visant la privatisation du bien commun, contre la négation des droits de ses organisations collectives et contre la criminalisation de ses luttes.

Le défi de construire un nouveau bloc historique, c’est le développement des luttes des mouvements écologistes contre le rôle criminel et naufrageur de l’oligarchie coupable du saccage de l’environnement et des conditions de la survie de l’humanité. Le défi de construire un nouveau bloc historique, c’est le défi de participer à la résistance du mouvement féministe face au retour de flamme du patriarcat.

Mais surtout, nous allons avoir le défi de construire un nouveau bloc historique autour des classes ouvrières populaires et de l’ensemble des mouvements antisystémiques pour construire un Québec indépendant que la majorité populaire pourra définir dans une assemblée constituante.

Le texte de Durand Folco ne trace aucune piste permettant d’esquisser les voies de la rupture avec cette soudure politiques et idéologiques des classes subalternes avec les élites nationalistes. La voie politique de l’autonomie nécessaire à la mise en place d’un nouveau bloc historique organisant un véritable pouvoir populaire est complètement ignorée. Cette rupture « exige qu’une société en lutte change de valeurs, de priorités, de récits. Cela exige aussi une nouvelle éthique de la participation et de la responsabilité collective, de la lutte et de l’engagement pour le changement, un sens commun transformé et éduqué. » Panagiotis Sotiris, Gramsci et la stratégie de la gauche contemporaine : le « bloc historique » comme concept stratégique. 


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