lundi 29 juillet 2013

L’émergence du nationalisme conservateur québécois



L’émergence du nationalisme conservateur québécois

Axe: Réinventer le Québec

Par Jonathan Durand-Folco • Mis en ligne le 05 juillet 2013

Cet ar­ticle re­pré­sente une ten­ta­tive de pros­pec­tive po­li­tique qué­bé­coise. Il ne s’agit pas de pré­voir l’avenir à la ma­nière d’un pro­phète ou d’un fu­tu­ro­logue, mais de conce­voir des scé­na­rios d’évolution des confi­gu­ra­tions po­li­tiques en fonc­tion d’une ap­proche glo­bale et d’une ana­lyse des ten­dances lourdes de l’histoire en cours. Le but de cette dé­marche consiste à re­placer l’analyse de conjonc­ture po­li­tique dans le temps long en ar­ti­cu­lant 1) un bilan his­to­rique ; 2) l’explicitation de forces émer­gentes ; 3) leur pro­lon­ga­tion ima­gi­na­tive au cours des pro­chaines an­nées. Le cadre théo­rique uti­lisé dans cette pros­pec­tive po­li­tique ne s’appuie pas sur une ap­proche mé­ca­nis­tique ou po­si­ti­viste, mais sur une pers­pec­tive historico-compréhensive liée à l’analyse gé­né­rale du ca­pi­ta­lisme. Ma­té­ria­lisme his­to­rique et cri­tique dis­cur­sive se­ront donc les prin­ci­paux le­viers per­met­tant de réunir des frag­ments d’observations dans un tout cohérent.

La pros­pec­tive, pour être ef­fi­cace, doit être à la fois humble et au­da­cieuse. Elle doit d’abord re­con­naître son ca­rac­tère in­cer­tain, ex­pé­ri­mental et in­achevé ; elle constitue des hy­po­thèses de re­cherches de­vant être cor­ro­bo­rées par des faits ou cor­ri­gées le cas échéant, dans un pro­cessus d’auto-correction per­ma­nent. En­suite, elle doit laisser place à l’intuition et l’exagération. L’intuition re­lève moins du sen­ti­ment sub­jectif ap­proxi­matif que d’une cer­taine at­ten­tion portée sur les évé­ne­ments, d’une pers­pi­ca­cité per­met­tant d’amener des pistes de­vant être ap­pro­fon­dies par la lo­gique et la re­cherche em­pi­rique. Enfin, l’exagération consiste à grossir cer­tains traits de la réa­lité afin de dé­celer des ten­dances en­core im­per­cep­tibles. L’exagération re­pré­sente ainsi une mé­thode pos­sé­dant une va­leur épis­té­mo­lo­gique, à la ma­nière du phi­lo­sophe Gün­ther Anders :

Les ex­posés qui vont suivre, du moins cer­tains d’entre eux, don­ne­ront une im­pres­sion d’« exagération ». Et cela pour la simple raison que ce sont ef­fec­ti­ve­ment des exa­gé­ra­tions. Je donne na­tu­rel­le­ment à ce terme, puisque je le conserve malgré tout, un sens dif­fé­rent de son sens ha­bi­tuel : un sens heu­ris­tique. Qu’est-ce que cela si­gnifie ? Qu’il y a des phé­no­mènes qu’il est im­pos­sible d’aborder sans les in­ten­si­fier ni les grossir, des phé­no­mènes qui, échap­pant à l’œil nu, nous placent de­vant l’alternative sui­vante : « ou l’exagération, ou le re­non­ce­ment à la connais­sance ». La mi­cro­scopie et la té­les­copie en sont les exemples les plus im­mé­diats, qui cherchent à at­teindre la vé­rité au moyen d’une image am­pli­fiée.

Entre an­ti­ci­pa­tion et ré­pé­ti­tion de l’histoire

Cette dé­marche com­bi­nant la cri­tique his­to­rique, l’analyse ma­té­ria­liste et l’exagération n’a pas une simple fonc­tion théo­rique, parce qu’elle vise à guider la pra­tique via l’élaboration d’une stra­tégie. Si la stra­tégie doit se baser sur la com­pré­hen­sion du passé et la prise en compte du contexte ac­tuel, elle doit sur­tout an­ti­ciper les trans­for­ma­tions so­ciales à venir. L’hypothèse de dé­part de cette re­cherche re­pose sur l’idée que nous tra­ver­sons une époque de fra­gi­li­sa­tion du statu quo, an­non­çant ainsi la fin d’une pé­riode hé­gé­mo­nique, le re­tour en force de la coer­ci­tion, de la bi­po­la­ri­sa­tion, des rup­tures ré­vo­lu­tion­naires et contre-révolutionnaires. Le pro­cessus de mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale et la croyance en un marché au­to­ré­gu­la­teur re­pro­duisent une dy­na­mique ana­logue à celles des an­nées de l’entre-deux-guerres, telle que dé­crite par Karl Po­lanyi dans son livre ma­gis­tral La Grande trans­for­ma­tion.

 Le re­tour en force du fas­cisme et du so­cia­lisme, dans cer­tains pays dont la Grèce re­pré­sente le meilleur exemple, constitue le symp­tôme d’une crise gé­né­rale qui af­fec­tera plu­sieurs so­ciétés dans les deux à dix pro­chaines an­nées. Cela ne si­gnifie pas que la gauche ra­di­cale et l’extrême-droite se ti­raille­ront les haillons du Québec dans un avenir rap­proché. Plus pré­ci­sé­ment, une nou­velle po­la­ri­sa­tion de l’espace pu­blic et po­li­tique dé­clen­chée par le der­nier prin­temps érable n’est pas sur le point de se ré­sorber, bien au contraire. L’échec du mo­dèle qué­bé­cois, re­pré­senté par la dé­com­po­si­tion de l’État-providence, la crise de confiance dé­mo­cra­tique et l’irrésolution de la ques­tion na­tio­nale, constitue un cock­tail ex­plosif pour les mou­ve­ments ré­vo­lu­tion­naires et conser­va­teurs. De plus, la lo­gique néo-impérialiste de l’État ca­na­dien, com­binée à la fra­gi­lité de l’économie fi­nan­cière et la crise éco­lo­gique, ajoutent des élé­ments dé­clen­cheurs dont les ré­per­cus­sions sont dif­fi­ci­le­ment prévisibles.

Nous en­trons dans une im­por­tante phase de tran­si­tion. Elle ne re­pro­duira pas mé­ca­ni­que­ment l’histoire passée, mais risque tout de même d’engendrer cer­tains phé­no­mènes so­cio­po­li­tiques sen­sibles aux contextes de crise. « Si l’histoire ne se ré­pète pas, les com­por­te­ments hu­mains se re­pro­duisent », comme le rap­pelle Mi­chel Godet.

La mé­ta­mor­phose du Parti québécois

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Je tien à féliciter Jonathan Durand-Folco pour son travail

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