lundi 9 février 2015

Quand la vertu était en fait un vice


Laissons Francis Lagacé nous parler de vertu et de vice:


Quand la vertu était en fait un vice 

9 février 2015

Je me rappelle, lorsque j'enseignais dans le Moyen Nord de l'Ontario, avoir retrouvé chez les Franco-OntarienNEs un défaut dont je croyais que les QuébécoisES avaient réussi à se défaire. Il s'agit de cette extrême politesse qui fait en sorte qu'on s'efface et se renie devant l'autre. Il ne s'agit pas ici de la courtoisie ou du savoir-vivre, mais bien de cette dictature de la gentillesse que nous avaient inculquée les autorités et l'église, car comme le chantait Ferrat «On se sert aussi bien pour tondre le mouton du sabre que du goupillon.»

Je me revois en train d'expliquer à mes étudiantEs anglophones comment ce qu'elleux considéraient comme une vertu était devenu chez nous un véritable défaut à tel point qu'en 1967, ce qui est fort tard, un chanteur nommé Pierre Filion avit fait un grand succès d'une chanson intitulée Dis ce que tu penses sur une musique de Gordon Lightfoot. L'un des éléments du refrain était «Il faut être soi-même dans ce monde d'aujourd'hui.»

Seules des personnes qui ont connu l'étouffante chape de plomb de l'autorité catholique peuvent avoir une idée de l'effort incommensurable qu'il fallait à beaucoup d'entre nous pour simplement exprimer son opinion. Le respect de l'autorité était prétexte à tous les écrasements et a conduit nombre de personnes à littéralement laisser broyer leur personnalité.

C'est ainsi que personne n'osait critiquer un ecclésiastique qui se permettait des privautés avec les jeunes gens et les jeunes filles. C'est ainsi qu'un enfant qui se révoltait contre la cruauté de ses parents se retrouvait en maison de réforme où il était sévèrement puni pour avoir réclamé un peu de justice et de respect.


C'est ainsi que des personnes par ailleurs très intelligentes et très capables étaient timides au point de se faire dépouiller par des inconnus juste parce qu'elles avaient appris à ne jamais se rebiffer.

Cette destruction de la volonté n'a pas affecté touTEs et chacunES des individus de la société québécoise, mais il s'agit d'une sorte de mème (au sens fort, celui de Dawkins, créateur du concept, c'est-à-dire de trait culturel qui est passé de génération en génération). Encore récemment, un homme de ma connaissance s'est brouillé avec son frère, ce dernier reprochant au premier d'avoir défié l'autorité parentale dans son enfance, car il était le seul à contester les décisions arbitraires et sadiques de l'un de ses parents qui concoctait le programme de la journée selon les voix entendues dans sa tête.

Le mème laisse encore des traces, et quand j'entends nos camarades FrançaisES se plaindre, avec raison, de l'incapacité des QuébécoisES à débattre par crainte de la «chicane», je vois un début d'explication dans cette «sainte» horreur qu'on nous avait inculquée de toute véritable affirmation de soi sous peine de querelle.

Nos jeunes qui débattent si hardiment dans leurs associations aideront sans doute à corriger ce mème dans le juste équilibre entre le respect de l'autre et l'affirmation de soi.

LAGACÉ, Francis





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