lundi 24 mars 2014

Une boussole pour perdre le nord

Parlons de cette boussole électorale avec Francis Lagacé


Une boussole pour perdre le nord

23 mars 2014

Pendant la campagne électorale, la chaîne de radio et de télé publique du Canada offre une sorte de jeu qui s'appelle la boussole électorale. Concoctée de manière objective par divers universitaires, cette technique de détermination des préférences des électeurs ne doit justement être considérée que comme un jeu, car si une personne indécise espère s'y faire une idée plus précise du parti qui lui ressemble, elle risque fort d'être entraînée très loin de ses intérêts véritables.

Je ne prendrai que deux exemples pour illustrer mon propos, mais cette analyse pourra s'appliquer mutatis mutandis à tous les sujets abordés et à toutes les questions posées.

Premier exemple : Si vous répondez oui à la question «Êtes-vous pour l'abolition de la taxe santé?» On vous approchera de manière égale des deux formations politiques qui proposent cette mesure, soit la Coalition Avenir Québec (CAQ) et Québec Solidaire (QS).

Or, bien que ce soit la même proposition, la raison pour laquelle chacun de ces deux partis l'inscrit à sa plateforme n'est pas du tout la même. Chez la CAQ, c'est par détestation de la participation des contribuables à l'effort fiscal que l'on s'oppose à la taxe santé. Chez Québec Solidaire, c'est parce qu'au contraire on croit à l'effort fiscal, mais que celui-ci doit être proportionné aux revenus, la CAQ étant plus près de ce que l'on pourrait appeler l'État facilitateur (État qui ne met pas de bois dans les roues des entrepreneurs), QS étant plus près de l'État régulateur (État qui aplanit les inégalités sociales).

Une même mesure place donc les deux organisations non pas près l'une de l'autre, mais bien aux antipodes. Et la réponse à cette question sans savoir pourquoi on y répond de telle façon ne permet pas de savoir laquelle des deux est plus près de notre façon de voir les choses.

Deuxième exemple : Si vous répondez oui à la question «Êtes-vous pour l'indépendance du Québec?», on classera à égalité dans vos préférences les trois partis politiques suivants : Option nationale, Québec Solidaire et le Parti Québécois.

 Or, la façon de voir l'indépendance de ces trois partis n'est pas du tout la même et le rôle de l'indépendance n'y est pas du tout le même. Pour Québec Solidaire, par exemple, l'indépendance est un outil pour créer une société plus égalitaire et proposer une constitution par la contribution de la population à son élaboration. Pour le Parti Québécois, l'indépendance est désirable en soi pour l'émancipation de la population québécoise et ne permet pas d'orienter la constitution vers un type de société plutôt qu'un autre. Pour Option nationale, l'indépendance consiste d'abord à être maître des impôts, des lois et des traités, c'est-à-dire posséder les attributs régaliens, quitte à déterminer ensuite l'orientation des politiques nationales. Cet objectif serait réalisé dès l'élection du parti.

On constate donc que l'appui à une mesure politique n'est pas en soi une preuve qu'on est plus près du parti qui la propose. Les raisons qui sous-tendent une proposition colorent toute la conception du devenir collectif et les liens entre les différentes mesures sont souvent beaucoup plus importants que les mesures elles-mêmes. C'est parce que le politique est le lieu d'interprétation de la volonté générale ou de l'influence sur cette volonté générale dans le but, soit d'atteindre le souverain bien (ce qui est considéré comme philosophiquement désirable) ou le bien commun (ce qui est considéré comme désirable pour la collectivité ou par la collectivité).

Un alignement objectif des mesures proposées par des partis politiques sans tenir compte de ces différences fondamentales ne peut pas être tenu pour autre chose qu'un jeu et n'est certainement pas une façon juste d'apprécier les programmes des prétendants à la gouverne démocratique.

LAGACÉ, Francis





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