vendredi 3 juillet 2015

La longue marche de la droite conservatrice au Canada




La longue marche de la droite conservatrice au Canada 



mardi 30 juin 2015, par André Frappier

L’élection des Conservateurs en 2006 ne représentait pas en soi une montée de la droite au sens de la conscience politique de la population au Canada ni certainement au Québec. C’était le résultat d’un changement politique qui s’est opéré durant plusieurs années et qui a mené à l’affaiblissement puis au discrédit du Parti Libéral du Canada et également la conséquence de la faiblesse des forces de gauche et du NPD à contrer les forces conservatrices qui se construisaient afin de combler l’espace qui se présentait.

La faillite des Libéraux et la montée des Conservateurs

Fait marquant, la question constitutionnelle a été à deux reprises l’élément déterminant qui a fait dérailler les libéraux. Le premier concerne particulièrement le Québec. Le Parti Libéral jouissait en 1980 d’une emprise quasi-totale au Québec, il avait obtenu 74 sièges n’en concédant qu’un seul au Parti Conservateur. Mais la trahison des promesses de Pierre Elliott Trudeau lors du référendum de 1980 par la diminution en 1982 des pouvoirs linguistiques du seul gouvernement contrôlé par une majorité francophone au pays a marqué ce parti qui jamais depuis n’a été capable d’obtenir à nouveau le suffrage d’une majorité de francophones québécois. L’échec des négociations constitutionnelles du Lac Meech devait déboucher par la suite sur la création du Bloc Québécois en 1991.

Le deuxième événement a été l’enquête de la commission Gomery. Créée en 2004 sous le gouvernement de Paul Martin elle a révélé l’implication du gouvernement libéral de Jean Chrétien dans le scandale des commandites lors du référendum québécois de 1995. Le Bloc Québécois et le Parti Conservateur tenteront une première fois de défaire les Libéraux de Paul Martin en 2005 mais l’appui du NPD de Jack Layton en échanges de concessions au budget les en avaient empêchés. Stephen Harper arrivera tout de même à ses fins et prendra la tête d’un gouvernement minoritaire en 2006.

Issu de la réorganisation de la droite conservatrice au sein du Reform Party qui comptait déjà 60 députés en 1997 puis de l’Alliance réformiste qui avala le Parti Progressiste-Conservateur, Stephen Harper pris la tête du nouveau Parti Conservateur et fit élire 99 députés lors des élection de 2004. Comme le mentionnait Pierre Beaudet, « Il avait promis, à l’époque où il s’emparait du Parti « progressiste-conservateur » de démolir les pierres angulaires historiques du fédéralisme canadien, notamment le concept des « deux peuples fondateurs » et de leurs droits. Pour lui, le bilinguisme représente un vestige d’une époque révolue où le « vrai » Canada était forcé de faire des concessions à la « minorité francophone ». C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les nominations à la Cour Suprême et dans la fonction de Vérificateur général. »(1)

L’impact des politiques conservatrices au Québec

Arrivés au pouvoir, les conservateurs recommandent que le Québec soit reconnu comme nation. Manœuvre habile qui tentait de désamorcer la ferveur souverainiste au Québec, mais les explications de Stephen Harper indiquaient bien le sens qu’il fallait donner à cette position : « La vraie question est simple, a lancé M. Harper en Chambre : est-ce que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni ? La réponse est oui. Les Québécois forment-ils une nation indépendante du Canada ? La réponse est non, et elle sera toujours non.(2)

L’acharnement des Conservateurs à éliminer le registre des armes à feux a constitué à ce chapitre la pire insulte faite envers les luttes du peuple québécois. Ce registre a été créé grâce au travail des survivantes de la tuerie survenue à l’école Polytechnique de l’université de Montréal en 1989 où 14 femmes avaient perdu la vie. Ces assassinats posaient dorénavant la question du contrôle des armes à feux mais nous amenaient également à nous questionner sur la profondeur que pouvait atteindre la haine envers les femmes et les raisons qui la motivent. Le retrait du registre représente en quelque sorte la fin de la volonté de lutte contre la violence faite aux femmes.

En 2011, le ministre John Baird faisait retirer les deux toiles du peintre québécois Alfred Pellan du hall d’entrée du ministère des Affaires étrangères pour les remplacer par un portrait de la reine Élisabeth II. Si Harper concédait que le Québec est une nation, il venait nous rappeler que nous sommes une nation colonisée dans un état monarchique. Les coupures dans le milieu culturel viennent terminer ce sombre tableau. Les réductions de 130 millions de dollars à Radio-Canada ont pour conséquence de couper 650 emplois dont près de la moitié soit 312 dans le secteur francophone seulement, d’ici 2020 2500 emplois de plus seront coupés. Sans compter les coupures de 10,6 millions de dollars à Téléfilm Canada et de 6,7 millions à l’Office national du film deux autres institutions qui soutiennent la créativité francophone.(3)

Les modifications apportées à la carte électorale viendront diminuer la représentation du Québec au parlement fédéral. À la prochaine élection, il y a aura 3 sièges de plus au Québec, mais 15 de plus en Ontario, 6 de plus en Alberta, 6 de plus en Colombie-Britannique.

La réduction du rôle de l’État au bénéfice des entreprises

Le gouvernement Harper s’est donné comme tâche de diminuer le rôle de l’État en ce qui concerne des domaines comme la recherche scientifique, laquelle peut permettre d’analyser les effets des politiques d’expansion pétrolière sur l’environnement, et les ressources pour les personnes dans le besoin en coupant les subventions pour la plupart des organismes communautaires et de solidarité. Mais il concentre les pouvoirs discrétionnaires comme la loi C-51 le prévoit en ce qui concerne les données personnelles et le pouvoir d’enquête sur la vie privée en invoquant la peur du terrorisme et propose des règles de redevabilité qui ne s’appliquent qu’aux syndicats afin de restreindre leurs actions.

Il a modifié la loi de l’assurance-emploi en 2013 de façon à forcer les prestataires à accepter n’importe quel emploi indépendamment de leurs intérêts ou qualifications et ce, à des salaires inférieurs à ce qu’ils sont en droit d’espérer. Cela oblige les gens à accepter n’importe quelles conditions de travail et n’importe quels salaires. Conséquemment, on crée une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de l’ensemble des travailleurs et travailleuses.

Cette réforme place aussi des familles et des régions entières devant le choix de devenir prestataires de l’aide sociale, ou de changer de région afin de pouvoir survivre. À la précarité salariale, Harper ajoute un deuxième impact majeur : la mobilité d’une main-d’œuvre à bon marché, vers des secteurs où il veut promouvoir l’expansion : l’Alberta est toute désignée. Pendant ce temps, si le choix des travailleurs et travailleuses est de changer de région, qui occupera les emplois saisonniers dans nos régions ?

Les modifications apportées dans la même année à la formation de la main d’œuvre par le ministre des finances Jim Flaherty venaient boucler la boucle. Il affirmait vouloir jumeler les Canadiens aux emplois disponibles. « Au Canada, la formation professionnelle n’est pas suffisamment liée aux compétences dont les employeurs ont besoin ou aux emplois disponibles. [...] Pour renverser cette tendance, il est essentiel d’assurer la concordance entre les besoins des employeurs et la formation que reçoivent les Canadiens ». (4)

Le but avoué, selon la secrétaire parlementaire Kellie Leitch était de retirer les décisions concernant la formation de la main-d’œuvre des mains des gouvernements pour les remettre à l’entreprise privée. La formation de la main d’œuvre devenait donc un domaine privatisé, 300 des 500 millions prévus pour ce fonds sont dorénavant conditionnels à la contribution des provinces mais surtout des entreprises. La nouvelle loi rendait donc impératif l’adhésion des provinces à ce modèle de privatisation de la formation pour avoir droit aux subventions fédérales. Le gouvernement Harper fait en sorte que le privé (et plus seulement le gouvernement) dicte ses choix en matière de formation professionnelle.

La fin du service postal à domicile quant-à lui est un prélude à la privatisation et à la fin du service postal universel.

La politique fédérale nous concerne

Nous n’avons plus le droit de prendre ces questions à la légère. Gilles Duceppe prétend qu’on peut faire alliance avec n’importe qui même Harper s’il s’agit de l’intérêt du Québec. Évidemment avec seulement cinq députés au Québec les Conservateurs ne sont peut-être pas une menace pour le Bloc Québécois, mais le maintien des Conservateurs au pouvoir en est certainement une pour la population québécoise autant que pour la population canadienne et les premières nations, envers lesquelles le gouvernement Harper a opposé une fin de non-recevoir et refusé de signer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, pourtant adoptée par 144 États. Il a aussi décidé de ne pas respecter l’Accord de Kelowna, destiné à améliorer la vie des autochtones.

La souveraineté du Québec sera décidée par les citoyens et citoyennes du Québec, mais pour l’instant et tant que nous n’aurons pas réussi à entreprendre cette démarche, la politique fédérale nous concerne et doit être prise au sérieux. L’alternative reste à construire, si la droite a réussi à prendre cette place c’est qu’il y a un vide politique à gauche. On ne peut se contenter de voter NPD, il faut construire des liens de solidarité entre la société civile du Québec et du Reste du Canada, il faut prendre notre destinée en main et combattre la droite sur le terrain.

(1) La consternante performance du NPD, Pierre Beaudet, Presse-toi à gauche, 8 novembre 2011 (2) Le Devoir 23 novembre 2006 (3) Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (4) Communiqué de presse du ministre des finances


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